L’HP, c’est l’hôpital psychiatrique pour les lecteurs non initiés… Hier, « mon » HP favori (comme si on pouvait choisir son HP lorsqu’on est interné de force…) a fêté ses 150 ans d’existence. Le programme était alléchant: des stands, des visites guidées, des jeux et une grande roue. Tout ou presque était gratuit.
L’HP se situe sur le site de Königsfelden , une très belle église où ont maintenant lieu des spectacles, comme celui auquel j’avais assisté la semaine précédente, Gib mir die Hand. J’ai calculé avoir passé pas loin de 9 mois au total dans cet hôpital, l’équivalent d’une grossesse, quoi…
Mon état d’esprit hier, c’était de venir pour fêter, oui de fêter mon rétablissement presque miraculeux, d’apprécier de revenir en touriste en cet endroit chargé en émotions négatives, de me fondre dans la masse des visiteurs la plupart complètement déconnectés de cet univers psychiatrique.
La fête a déjà commencé lors du voyage en train. Certains endroits du trajet Dietikon – Brugg sont magnifiques, en particulier le Wasserschloss, le château d’eau de la suisse, où la Reuss (qui passe auparavant par mon village), l’Aare et la Limmat se rejoignent. Magnifique, oui, mais chargés en émotions. Pendant une à deux années, je souhaitais me suicider de désespoir à cet endroit en posant ma tête sur le rail. Techniquement parlant, c’est plus difficile qu’on croit, mais j’avais étudié ça en détail. Mais bon, revenons à la fête…

Les Suisses savent très bien organiser des fêtes. L’attraction principale était … un jeu de piste. Voici le plan du site. Il fallait trouver un mot composé de plusieurs lettres et syllabes dont la solution se trouvait sur les différents stands. La solution était Zeitreise, voyage dans le temps.

J’ai commencé par déjeuner au restaurant de l’HP. Comme patient, j’étais confiné dans les bâtiments où le repas est préparé par les services centraux de restauration. Repas au bar à salades, crevettes sauce cocktail comprises.
On voit d’ailleurs l’église depuis le restaurant.

Une fois le repas terminé, je me dirige vers la grande roue, assez imposante sur le site!
C’est la première fois de ma vie que je suis monté sur une grande roue. Quand on a été longtemps suicidaire, l’élévation fait remonter des angoisses de passer à l’acte de façon impulsive, d’autant que les cabines de cette grande roue n’étaient pas sécurisées. Je me détends en prenant le site en photo et en faisant quelques grimaces prises en selfie.
On voit bien le labyrinthe où avait traditionnellement lieu la fête du solstice d’hiver, ainsi que les jardins.

Prochaine étape, visite guidée d’une station, en l’occurence une nouvelle station réservées aux troubles des personnes de plus de 65 ans, dénommée Sophia, la sagesse, la qualité unanimement reconnue lorsqu’on vieillit. En fait, c’est une station réservée aux assurés des caisses maladie ayant un contrat semi-privé ou privé. J’ai un contrat de division commune. Etant donné mon diagnostic de schizophrénie, la caisse refuse catégoriquement un changement de contrat. Par contre, je pourrais aller dans une station semi-privée ou privée en payant le supplément de ma poche.
J’ai profité de cette visite pour parler avec la responsable du salon de fitness, histoire de voir si mon programme d’entraînement de musculation est bien adapté, ainsi que d’anticiper l’évolution des prochaines années.
Ensuite, je me concentre sur le jeu de piste. J’en profite pour poser quelques questions sur les stands. Par exemple pourquoi les Français et les Suisses romands ont des pair-aidants dans les HP, alors qu’en Suisse alémanique, ce rôle est complètement occulté. Personne ne le sait!!! La seule réponse, c’est qu’en Suisse, le fédéralisme permet ce genre de différences.
Jeu de dés au stand des ressources humaines, où j’égalise le record du jour et je gagne un bon d’achat de 5 francs. Le personnel est partout tellement aimable qu’on aurait envie de passer du temps à l’HP juste pour le plaisir!
Je me dirige vers le point de rendez-vous pour la prochaine visite, celle de la station de prise en charge d’urgence. En attendant, je discute avec une psychologue connaissant la pathologie de schizophrénie. Le sujet qui m’intéresse, c’est de savoir ce qu’elle pense de cet article écrit récemment sur le site Web de la Roue.
C’est une allemande, donc le français est un no-go, mais évidemment, elle maîtrise l’anglais, ce qui est utile, puisque la traduction automatique de l’article en allemand est curieusement un fiasco. Très attentive, elle juge l’article très bien, structuré et pragmatique.
J’en profite pour lui demander son avis sur notre forum d’entraide pour schizophrènes en général, plus particulièrement sur le fait que certains croient que c’est un frein à leur intégration irl dans la vie réelle. Comme moi, elle pense que l’un n’empêche pas l’autre, du moment qu’on ne passe pas tout son temps sur le forum.
Pendant la visite de la station de prise en charge d’urgence, j’en profite pour parler avec le psychiatre. Ce qui me préoccupe, c’est le niveau d’aripiprazole dans mon sang, voir dans Google « aripiprazole blood levels ». Mon niveau est de l’ordre de grandeur de 30 ng/ml, alors que le laboratoire indique 110 à 250 ng/ml comme le niveau normal, c’est même 150 à 500 ng/ml pour le laboratoire suisse.
Je crains qu’en cas d’accident, la police me fasse une prise de sang et interprète le niveau dans le sang comme un signe que je ne prends plus mon médicament, l’Abilify.
Le psychiatre m’explique que l’essentiel, c’est l’effet du neuroleptique au niveau du cerveau et que oui, il soit possible que mon foie ou mes reins fonctionnent bien et expliquent ce niveau.
Autres questions: y a-t-il encore des chats dans les stations? Oui, selon un soignant, mais pas partout, ça dépend de la pathologie des patients. Est-ce que les chambres d’isolation sont toujours peintes en fuchsia, couleur paraît-il choisie pour calmer les psychotiques les plus excités? Apparemment, elles sont grises crème maintenant. La nouvelle mode de la psychiatrie, quoi….
Je finis ma visite par le stand de religion. Ils proposent de choisir une citation, puis de marcher dans le labyrinthe en concentrant ses pensées dessus. Je choisis « Le bonheur ne se reconnaît pas avec la tête, mais avec le coeur ».

Avant de commencer mon tour, j’explique à la dame responsable du stand qu’habituellement, je ne crois pas en Dieu, mais qu’en psychose, je suis non seulement convaincu de son existence, mais je me prends pour Jésus-Christ sauveur de l’humanité, en précisant que ce genre d’idées est répandu chez les patients en crise.
Elle est un peu dépassée et me remet symboliquement une petite boîte de sel. D’autres personnes arrivent au stand et je termine mon tour avant de me diriger vers la gare de Brugg.
J’aurais pu ramener d’autres souvenirs, un parapluie estampillé PDAG, une bouteille en plastique, etc… mais non, je ne vois pas l’intérêt de me charger de ce genre d’accessoires.
C’est avec une certaine fatigue émotionnelle que je termine cette journée en jouant un peu au piano chez moi.